Mathieu Pernot, une vision en creux
Michel Guerrin. Le monde, édition du 29.01.05
Mathieu Pernot, la trentaine, est un photographe parmi les plus intéressants de sa génération, qui a exposé des morceaux de son travail dans plusieurs villes et festivals, à Toulouse, Arles, Cherbourg... Le voilà pour la première fois en grand, à travers plusieurs séries récentes, qui permettent d'apprécier l'ampleur du travail. La galerie VU, installée dans un sous-sol, qui manque un peu d'air mais pas de place, offre cette belle surprise.
L'oeil est d'abord attiré par la série de personnages, la seule de l'exposition. Parce que les corps, les visages et les gestes sont forts. Mathieu Pernot les intitule « les Hurleurs ». Il s'agit d'hommes et de femmes, qui se tiennent dans la rue, devant les murs des prisons, et qui tentent ainsi de communiquer avec des détenus - un parent, un ami, un proche. Ils hurlent pour se faire entendre, pour imposer leur voix aux bruits de la ville. Ils amorcent aussi une chorégraphie involontaire. Une femme porte son enfant qui hurle aussi, mais pour une autre raison. Une autre femme semble ne pas tenir en place. Un garçon fait de ses mains un cornet près de la bouche pour amplifier sa voix. C'est beau à voir. Et c'est tragique.
Tout dépend du point de vue. Car c'est bien cette double lecture, documentaire et poétique, qui attire. Ces personnages évoquent une série antérieure de l'artiste Valérie Jouve, qui s'était fait connaître avec des portraits de personnes dans l'espace urbain, souvent volontaires, qui bougeaient, parlaient, ébauchaient des gestes, sans que l'on sache de quoi il s'agissait.
Mais, très vite, dans l'exposition de Mathieu Pernot à la galerie Vu, le spectateur est embarqué ailleurs : vers un brutal retour à la réalité. Ces portraits de hurleurs, en couleurs, plein d'énergie et de vie, font face à des vues d'architecture en noir et blanc, sinistres, sans issue aucune, désespérantes. Il s'agit d'intérieurs de prisons. Là encore, ce n'est pas un reportage. On ne sait rien des personnages, comme on n'apprend rien des prisons. On voit des murs, portes, couloirs, chemins, des perspectives bouchées. Il ressort un sentiment de la prison, architecture labyrinthique et répétitive, qui fait perdre les repères, fait tourner en rond.
Corps et architecture sont rassemblés dans l'exposition sous le titre « Hautes surveillances ». Les détenus sont absents, mais ils sont visibles en creux, dans cette zone franche entre les visages ouverts et les architectures étouffantes. Hautes surveillances est aussi un joli livre, qui reprend la série, enrichie par une analyse et un entretien avec l'artiste.
Changeons de murs. Et de sujets. On retrouve la série la plus spectaculaire de Mathieu Pernot : des implosions de barres HLM en France (Meaux, Mantes-la-Jolie). Les photos sont alignées comme des écrans de télévision. Comme si la mise à mort de l'immeuble était filmée sous divers angles, en un grand spectacle. La barre blanche est d'abord bringuebalante, avant de laisser la place à un nuage de fin du monde.
Rapprochons enfin cette série de celle d'intérieurs d'immeubles avant leur destruction. Se dessine la cohérence d'un projet : figurer un sentiment invisible, une mémoire des gens et des lieux, une réalité qui se dissout, une disparition annoncée. Evidemment, c'est un projet politique que celui de Mathieu Pernot. Mais, à l'image de ce grand garçon calme, le résultat photographique est distancié, quasiment déconstruit, afin que chacun puisse imaginer, en fonction de son expérience, ce que l'on ne voit pas. Il faut imaginer les détenus tourner en rond, la douleur des proches, le sentiment des exclus des immeubles morts. Quoi de mieux qu'une œuvre qui fait voyager loin sa mémoire ?
Michel Guerrin
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