Dernières impressions
Michel Poivert – publié dans « images d'un renouvellement urbain »
Le point du jour éditeur, 2009.


Ce que nous voyons est peut-être la dernière étape d'un long processus qui a constitué jusqu'ici l'oeuvre de Mathieu Pernot. Son travail sur la mémoire et l'identité, les espaces disciplinaires et l'habitat collectif, l'a amené à la réalisation du livre Le Grand Ensemble (2007) où se conjuguent l'appropriation de cartes postales de cités (idéales, jadis) et les enregistrements d'implosions d'immeubles en vue de réaménagement urbain. Une boucle se fermait: l'archive venait remplir le vide que laissait l'utopie désintégrée de l'architecture de la Reconstruction. Le photographe braquait son objectif pour reproduire des images existantes ou des objets disparus. La commande à laquelle il a répondu à Cherbourg a permis d'effectuer le nécessaire contre-champ de ce parcours esthétique et historique: Mathieu Pernot s'est installé dans le bâtiment avant sa destruction pour en offrir moins une dernière image que les dernières images que ces machines à habiter – qui étaient aussi des machines à voir – étaient à même de produire. C'est dans le squelette de l'architecture que Mathieu Pernot s'installe avec sa chambre photographique, face aux fenêtres. Mais s'agit-il encore de fenêtres? Débarrassées de leurs huisseries, les ouvertures s'apparentent plutôt à des « trouées » que l'on aurait ménagées à la hâte ou bien dans le souci de forcer l'architecture à laisser entrer le dehors. Les vues défenestrées donnent à voir des morceaux de nature, un pittoresque lumineux dont la perfection contredit la vétusté de l'intérieur. Comme si l'utopie des grands ensembles survivait sous la forme de ces fragments de paysage.
D'ici – d'où les photographies sont prises –, il ne restera plus rien. Car il est vrai qu'une vue n'existe que cadrée, fût-ce de la manière la plus frustre. On peut dire que nous admirons la fin programmée d'un cadrage qui est, et a été, le point de vue d'une classe populaire. Dès lors, les peintures et les papiers peints ruinés contiennent l'aura des mémoires de ces habitants, dont les regards devaient parfois glisser du mur orné à la fenêtre. La nature renaît et déborde sur les bâtiments abandonnés. Voilà ce que la tradition romantique livre habituellement au regard. Ce « ruinisme » établit un dialogue entre la permanence de la nature et la fatalité de la destruction propre au temps des hommes. Mathieu Pernot nous offre-t-il, selon cette définition, une oeuvre romantique? On répondra par la négative. S'il existe bien dans la photographie contemporaine un tel « genre », on le trouve plutôt dans le reportage esthétisé avec ses ruines de pays en guerre composées comme des tableaux.
Dans ce travail, il importe de remarquer le fonctionnement en séries et aussi par translations et variations. D'où les polyptiques, et la répétition sous divers angles de motifs récurrents. Un principe impressionniste, en somme. Monet, devant la cathédrale de Rouen. Il s'était installé dans différents appartements tout autour de la place, appartements qu'il avait cloisonnés pour former, autour de lui et la fenêtre, un dispositif de visée. Il obtint une manière de travelling dans sa quête des variations lumineuses sur l'architecture. Qu'il acheva par la suite à l'atelier avec, pour mémoire, de méchantes cartes postales. S'il s'était reculé un peu, il aurait aussi dépeint l'appartement (une remise le plus souvent) avec ses murs poussiéreux. La cathédrale serait devenue une belle image surgissant de son misérable écrin. L'anecdote prend tout son sens lorsque l'on rappelle la passion que Mathieu Pernot entretient pour ces petits tableaux que sont les cartes postales, qui lui ont permis de remettre les grands ensembles au coeur de notre imaginaire affectif et politique. Comme l'artiste impressionniste déroge au stéréotype d'un peintre sur le motif, le photographe contemporain n'est pas seulement face au réel. Et il nous montre ici l'ultime variation de la définition de la peinture comme fenêtre ouverte sur le monde.